Administrer des programmes interdisciplinaires

Puisqu’elle est dialogue entre cultures disciplinaires ou savantes différentes, l’interdisciplinarité ne déclasse en rien la « disciplinarité », elle en a besoin pour exister. Acquérir une formation disciplinaire de premier cycle universitaire correspond un peu à une culture maternelle.  L’acquisition d’une première formation universitaire donne accès à une culture savante par laquelle un ou des paradigmes de production de la connaissance deviennent vécus comme « naturels » ou  « évidents »  par la personne diplômée. Cette formation donne lieu à une praxis, un ethos et un habitus au sens qu’en a par exemple donné Pierre Bourdieu.  Une discipline, c’est aussi une identité sociale implicite avec laquelle vient une façon de penser, mais aussi un langage, des gestes et même souvent une façon donnée de se vêtir…

Les études graduées sont ainsi un lieu propice à l’interdisciplinarité, car cette dernière suppose au préalable la naissance de l’identification à une culture savante donnée. Ce n’est qu’ensuite qu’il devient utile, à des fins de connaissances complémentaires qu’appellent certains types de problèmes —la résolution solidaire de problèmes empiriques communs, l’intervention professionnelle ou publique, critique de l’arbitraire d’une raison disciplinaire qui a dérapé, etc.— de mettre en dialogue une tradition de savoir avec une autre. Ainsi en est-il des nouveaux programmes d’études thématiques, centrés sur la résolution de problèmes de l’action impossible à cantonner dans une seule discipline  :  désertification, crises migratoires, sécurité et terrorisme, etc.

Violaine Lemay a dirigé le Programme de doctorat interdisciplinaire en sciences humaines appliquées pendant la majeure partie de sa carrière ; elle y enseigne encore.

Gérer un programme d’études interdisciplinaires est TOUT SAUF FACILE. D’une part, chacune des structures de l’université moderne est historiquement imbriquée dans la disciplinarité: le fordisme universitaire y est le mode dominant et ne souffre exception qu’en certains endroits du monde où la tradition universitaire se veut moins rigide. En conséquence, cela implique de ramer à contre-courant, systématiquement et constamment. D’autre part, le concept même de « diplomation » appelle alors une revisite critique : quand accéder au deuxième ou au troisième cycle universitaire ne suppose PAS une spécialisation verticale ancrée dans une seule discipline, quel savoir, compétence ou force intellectuelle est-elle sanctionnée par l’attribution du diplôme universitaire?

Ce contenu a été mis à jour le 7 mars 2023 à 13 h 26 min.